La marche du temple

Ces derniers jours dans la forêt, lors d’échappées quotidiennes avec la grenouille blanche poilue, mon esprit imagine de douces pérégrinations en diverses contrées. 

Puisque rêves et imaginaire sont impactés par le manque de mouvement, de nouveautés, les années qui passent, je m’évade et parcours des chemins caillouteux, bordés d’arbres mousseux, accompagnée par l’écoulement variable de la rivière. 

Je suis prise d’une envie soudaine ; le mouvement, la Mongolie via le transsibérien histoire de vivre une aventure interne, comme je les aime, ou Brocéliande … toutes ces invitations aux voyages plus ou moins lointains sont bien belles. Mais à deux pieds, et avant d’embarquer pour la cueillette de myrtilles, l’aventure peut être folle plus près de soi. 

Je prends mon sac et le comble du nécessaire. Je suis à contre-courant le flux de la Dordogne ailée, et j’arrive au cœur de Neuvic, la mystérieuse et accueillante petite cité au climat insolite, aux paysages fermés. Je pars me ressourcer à l’étang d’Aubessanges, en passant devant la fameuse chapelle de Penacorn. Le voilà enfin l’étang, mission de l’instant: contempler les nénufars du fond avec vue sur les ruines magnifiques et les deux hêtres sur lesquels j’aime me lover. Je me remémore avec nostalgie ces souvenirs d’ici et de là-bas dont mon esprit et chaque lieu sont chargés. J’ai conscience qu’une partie de moi est restée bloquée à cet endroit. Qu’hélas, ce constat est le même pour bien des sites, ancrés. Que ces souvenirs aient pu m’empêcher d’avancer lorsqu’ils étaient tristes et qu’ils deviennent heureux une fois le deuil accompli, croyez-moi c’est une épreuve réelle. J’ai marché sur cet étang glacé, j’ai pleuré, ri, mangé…

Me voilà en train d’arpenter les chemins sinueux le long de la Triouzoune, au fin fond des gorges de la petite rivière. Tant de pas qui permettront de rejoindre le fameux belvédère de gratte bruyère.

Mes mollets sont brûlants, les muscles ont travaillé, je me suis enfin retrouvée. La marche est un second souffle, mon sac sur le dos et ma gourde sont mes alliés, je suis face à moi-même, en pleine conscience et pour la première fois de ma vie, j’ai confiance en mon corps, en mon cœur, en mes convictions, et je suis convaincue que tout est réalisable, quel que soit le contexte dans lequel le monde peut se trouver. J’aime les chemins, les arbres, la rivière… tous les êtres vivants qui peuplent notre environnement, ceux que j’ai eu la chance de voir, comme ce cerf qui traversait la route, lentement, et sous une épaisse brume en pleine période de Bram. Ou ces deux chevreuils qui sont apparus dans le silence de l’hiver à un mètre de distance, l’un d’eux s’est arrêté, m’a regardé, puis s’est envolé avec un bruit sec, ses pattes sur Dame neige. Le temps s’arrête et la magie opère immédiatement ; Le concert des chouettes hulotte avant-veille d’une nuit de pleine lune, une salamandre au milieu d’un chemin peuplé de flaques d’eau et de têtards, les nénufars sur l’étang, la glace qui fige ce dernier lors du dernier véritable hiver que j’ai côtoyé. 

Cet endroit est propice à l’émergence de réalisations personnelles, je laisse alors mes pensées vagabonder. J’aime tellement l’hiver pour ce côté glacial et silencieux, tout est immobile ; le printemps pour ses dégradés de couleurs et les parades ; l’été pour l’odeur d’iode et les concerts sauvages ; j’aime davantage l’automne pour ses feuilles dégradées, son odeur et ses promesses, la nostalgie qu’il inspire et le calme revenu.

La randonnée est un rêve éveillé, plonger dans ses souvenirs et dans des projections farfelues. S’arrêter quelque part et se recentrer.

La porte de ma bulle s’ouvre, il est temps de poursuivre le parcours. 

Et si… Je levais le pouce afin de rejoindre le sourire de l’Auvergne ? 

Mon esprit est en ébullition, j’ai le cœur en fête, je suis à ma place, les pieds gonflés, la joie de vivre m’envahit. Je choisis de m’endormir au lac du Guéry et de gravir la rude traversée grimpante des RochesTuyère et Sanadoire. 

Sitôt ce projet imaginé une voiture connue s’arrête, je suis heureuse, nous voilà partis !

A peine deux heures ont été nécessaires à l’habile conducteur pour me laisser sur le chemin de cette merveille, immergée au parc naturel régional des volcans d’Auvergne. L’espace est grandiose, les odeurs rafraichissantes, je me sens vivante. 

Les volcans, leur odeur de vieux brulés mêlée à celle du renouveau parfumé insufflent une forme de sagesse au milieu de cette nature luxuriante ; vive et merveilleuse. Ils ont vécu, observé, recouvert, permis à la nature de renaître. Tout ce qui gravite autour d’un volcan est phoenix. La magie embaume les chemins et remonte le long des pieds, des jambes, pour s’enraciner dans notre cœur et s’infiltrer dans le troisième œil ; tout devient différent, se dessinent les contours de l’invisible, le cerveau s’éveille, le sang coule dans nos veines comme une rivière. 

Ces roches dansent au rythme d’une balançoire, ce sont deux enfants qui se donnent la main, et vous sourient. 

La suite du périple défile comme une course d’étoiles filantes ; qui m’ont offert un présent magique, une pluie d’étoiles au cœur du cratère du Pariou. J’ai dormi une noble nuit protégée par son grondement sourd doucereux et protecteur, la Voie Lactée me souriait, et une fête brillante illuminait un ciel incroyable. Je suis pleine de gratitude, encore aujourd’hui. J’ai eu si froid dans mon sac de couchage. Mais les perles de rosée matinale vous apportent une énergie et une chaleur soudaines, tout va bien, je suis en paix.

J’ai suivi des chemins et routes en me sentant toujours plus forte, et en me reconnectant au tout, à cette nature, ces mouvements et chants continus. Le temps comme unique unité de mesure, le jour la nuit, le cycle du soleil, la révolution terrestre ; je me vois comme une enfant, une petite fille qui a oublié de jouer, et qui est timide à l’idée seule de jouer encore. Je ressens les sens de manière plus aiguisée et chaque instant est une pépite que j’aimerai décrire de mille mots et partager par embrassade télépathique. La transmission est un itinéraire de rêve. 

Me voici arrivée à la petite chocolaterie de Biollet, elle est connue, reconnue pour son volcan chocolat noir la touche spéciale fourrage bleu d’auvergne, l’odeur nourrie d’une humeur enfantine gourmande et ce passage est un rituel avant de poursuivre sa route jusqu’au fameux temple bouddhiste… 

Découvert « par hasard » ; ironie ! 

J’apprécie sa prestance, des hommes et des femmes se sont unis afin de le mettre au monde. 

Des nombreuses fresques ornent ses murs, toutes chargées d’une histoire ; des statuettes sont intégrées, un immense Bouddha nous accueille, pieds nus, à pas de loup, les sens ouverts. Gratitude est le mot qui embaume mon être lorsque je m’y engage. Un moine rayonnant m’a un jour offert une découverte neuve, instructive et inoubliable.  

Au final, c’est ici que je me sens bien, c’est ici que je vais rester quelque temps. 

Le chocolat est proche, je pourrai m’exercer, méditer ; déambuler dans la bambouseraie et me prendre pour la princesse Kaguya ; admirer les milliers de couchers de soleil, les collectionner, les susurrer, les goûter, les interroger.

Je me sens bien, je suis en paix. 

Une douce main ferme et rassurante me caresse le front et laisse quelques gouttes couler le long de mes joues. Il en est ainsi entre nous, une petite taquinerie souriante lors de nos retrouvailles. Je prends conscience que ce sentiment de course folle, et de découvertes ou retrouvailles n’étaient en réalité qu’une douce méditation rythmée par l’écoulement de la Dordogne sacrée des Corréziens. L’herbe picote mon cou et un brin me chatouille l’oreille. Monsieur main douce et forte du merveilleux bonhomme s’assoit et pose ma tête sur son ventre. Il me raconte les meilleurs moments de ses journées sur le chantier, avec une voix qui scintille et donne le sourire, et c’est bien ce qui se trace aussi sur mon visage. Alors je lui propose de prendre la poudre d’escampette, de voguer vers de nouveaux horizons, de « nouvelles bières »*, de nouvelles odeurs, de nouvelles pierres et de nouveaux chemins. La prochaine fois, nous rejoindrons Corde sur Ciel, et dans quelques mois la mer baltique, fraîche et chargée d’histoires. En attendant, notre aventure est de donner vie, et d’en prendre soin, le reste suivra.

*de nouvelles bières : adages des gars et donzelles de la vallée de la Dordogne et de Maryse aussi, petit hommage et belle pensée

Marielle TASCONE